Il y a 30 ans…

admin 30 novembre 2015
Il y a 30 ans…

Il y a 20 ans, le film « l’argenterie des Bauges » *

(Il y a 30 ans aujourd’hui, en 2015)

En 1985, les Amis des Bauges produisaient le film « l’Argenterie des Bauges », que j’ai écrit et réalisé. Le film évoque le tournage sur bois au hameau de La Magne Saint François de Sales. La vaisselle en bois colportée a fait vivre pendant longtemps le hameau, et en 1985, il ne restait que deux tourneurs : Lucien Pernet et son fils Jean-Paul. Ce dernier est toujours en  activité aujourd’hui, mais il ne tourne pas certains objets importants dans l’histoire de cette tradition. Ne surnomme-t-on pas les habitants de La Magne les « pochus », en référence à l’objet phare de l’argenterie : la « pôche », c’est à dire la louche. En 1985, Lucien voyait de plus en plus mal et les témoignages directs devenaient de plus en plus rares. Il fallait agir vite, et ce qu’a fait Marisie Moine, alors responsable des Amis des Bauges.

J’avais 22 ans et je sortais de l’école italienne de Ermanno Olmi. Marisie m’a proposé une association avec un réalisateur lyonnais plus aguerri.  Après plusieurs discussions, Emile Assier, longtemps chargé de production à France 3, s’est rendu compte que le film devait rester une affaire de baujus. Nous avions deux ambitions : la transmission et la qualité technique. Il nous fallait rendre compte dans le détail de toutes les phases de fabrication de la « pôche », et c’est devenu le fil conducteur du film. Nous avons investi durant deux semaines complètes l’atelier de Lucien Pernet, qui s’attendait à nous voir déguerpir le premier soir, comme le Journal Télévisé de France 3. Chaque soir pendant deux semaines, je lui ai dit qu’il me manquait encore quelques images. Mais certainement l’avait-il souhaité et compris dès le départ, que nous irions ensemble avec le maximum de sérieux au bout de sa dernière « pôche ».

Nous savions que les témoignages montés dans un film de 26 minutes ne pourraient pas englober des siècles de tradition, et c’est la raison pour laquelle j’ai choisi l’évocation, parfois onirique, parfois comique, qui est censée nous faire un peu entrevoir comment cette tradition était colportée et vécue .

Le format professionnel 16 mm nécessitait beaucoup d’éclairage et de compétences. L’équipe fut composé de techniciens de Paris et de Lyon.  Au montage, j’ai convié Andrea Eleuteri, avec qui j’avais étudié en Italie.

Pour la musique, j’ai convaincu Frédéric Laperriere de laisser aller son talent de compositeur, en partant d’airs traditionnels de La Magne spécifiquement, comme le tali tala.

Le film a vécu sa vie. Primé, diffusé, répandu dans certains réseaux, il a joué son rôle. On peut le voir plus facilement au Musée des Arts et Traditions Populaires à Paris que dans les institutions locales. Mais tout reste à faire. Il conviendrait peut-être un jour de reprendre les chutes sur la fabrication pour les digitaliser et en faire, pourquoi pas, un dvd avec les tourneurs actuels.

Si je dois retenir une chose de cette expérience, c’est la nécessité de la chaîne de la transmission. En tournant ce film en 2005, nous aurions rompu cette chaîne, certainement à jamais. Nous n’avons pour autant pas sauvé l’argenterie, les films n’ont pas ce pouvoir, mais nous avons maintenu un mince fil pour relier les tourneurs et colporteurs d’hier et leurs descendants d’aujourd’hui.

Nous avions quelque chose à raconter sur notre propre pays, sur la force de cette tradition déclinante, et nous l’avons dit, sans fausse pudeur, sans pommade localisante. Avec du recul, je suis à la fois fier d’avoir écrit cette page, et assez honteux d’avoir laissé tomber du livre tant d’autres belles pages qui méritaient d’y figurer. On peut crier sans relâche qu’il y a gros danger à couper le lien ancestral de la relation des hommes à la nature, qui fonde aussi la relation des hommes entre eux. A la fin on se fatigue. C’est tellement plus simple de laisser mourir pour réinventer ensuite à sa sauce des traditions bien emballées. Je ne peux accepter cette insulte faite aux anciens.

Et nous comprendrons à temps j’espère que sans se nommer, se raconter, sans s’imposer une prise de parole déconnectée des intérêts et sincère, aucune société n’a de chance de se renouveler et de survivre.

Longue route aux Amis des Bauges.

Pierre Beccu

* Ce texte est paru en 2005 dans le journal « les Amis des Bauges ».