En préparant les ateliers 2016, je retombe sur un texte datant de 2008, qui préfigurait un article paru dans la revue des Collèges. Je ne peux pas dire qu’on ait beaucoup avancé.
Cette année-là, Guillaume Deheuvels et Bernard Fontvielle m’avaient demandé d’accompagner les Terminales Bac Cinéma dans la réalisation de leur court métrage. J’ai pris beaucoup de plaisir avec les jeunes, avec qui je suis encore en contact pour la plupart.
Cher Guillaume,
Suite à notre entretien téléphonique, je souhaite revenir rapidement sur le projet d’article évoqué. Je suis avant tout auteur et réalisateur, je crains ne savoir faire que ça. Et peut-être un peu aussi transmettre ce que je sais faire. Je m’assume dans l’exercice de mon métier. J’assume le double désir documentaire-fiction, qui parait dangereusement shizophrénique aux producteurs, illisible aux diffuseurs, et suspect aux critiques. Je ressens ce double désir aussi intensément et impérieusement que marcher sur mes deux pattes en alternance. Est-ce que marcher c’est boiter harmonieusement, avancer, reculer à l’envers ou s’éloigner ? Marcher c’est être en action, en état de marche et d’observation. Je fonctionne selon le principe des deux pattes : docu-fiction, proche-lointain, écouter-dire, regarder-montrer, faire-transmettre. Pour ce dernier aspect, vous le savez, je mène à terme chaque année un projet dans le cadre « éducation à l’image ». C’est avec le Lycée Louis Armand que je suis engagé cette saison, prêt à mouiller le maillot avec vous tous.
Depuis mes professeurs à Paris 3 (A Bergala, M Marie, F Jost, M Colin, A Fleisher, C Depuyper et d’autres), je vois la richesse de l’enseignement universitaire liée au cinéma comme l’arbre qui cache la forêt de ronces dans laquelle se perdent le primaire et le secondaire. Quand Alain Bergala développe « Lycées au cinéma » et « Collèges au cinéma », il propose à des millions de têtes blondes un voyage merveilleux au pays du septième Art, et je ne peux que m’en réjouir. Mais pour moi, on avance sur une patte. Quand les élèves rentrent chez eux, ils déconnectent de l’approche artistique et intellectuelle et se mettent devant les écrans de la distraction et de la consommation. L’artistique à l’école, le divertissement à la maison: les vaches maigres culturelles et les veaux gras du business sont bien gardées. La patte manquante, c’est celle d’une « éducation du regard », sur toutes les formes de représentation iconographique. Je propose, avec beaucoup d’autres, que ce regard se constitue par l’expérience filmique, par la prise de parole et par l’acte de fabriquer.
Est-on tenu de fabriquer pour mieux regarder ? Assurément non, mais savoir comment ça marche permet de remettre les pendules à l’heure et remet debout le citoyen. Ils sont déjà très nombreux, artistes, chercheurs, enseignants à s’intéresser à la formation des artistes de demain. Je m’intéresse à l’espace vacant – béant ? – du futur citoyen, pas forcément cinéaste en devenir, mais assurément gros consommateur d’images.
Pour en revenir à l’article, je suis donc parfaitement d’accord pour faire le bilan de toutes les réflexions et actions accumulées, les confronter avec vous. Je ne suis pas regardant sur la forme : entretien, textes croisés, etc, même si je trouve que l’entretien convient au but que nous nous fixons : nommer et réagir. En élargissement, nous pouvons donner des directions, tracer des lignes, mais proposer des actions concrètes réclame une approche spécifique (discussion, travail, temps, moyens) qu’il faudrait mener avec toutes les instances concernées.
Je me permets de vous rappeler cordialement que nous avons 6 courts métrages à « accompagner » avant le mois de juin.
Bien sincèrement,
Pierre Beccu