Lettre à M. Hollande sur l’avenir des Bauges

admin 14 décembre 2015
Lettre à M. Hollande sur l’avenir des Bauges

Monsieur le Président,

Une décision très importante doit être prise prochainement concernant notre collectivité, la Communauté de Communes, qui regroupe nos 14 communes du coeur des Bauges. M. le Préfet s’est montré inflexible dans la presse : nous allons être rattaché à Chambéry Métropole, parce que nous ne franchissons pas la barre des 5 000 habitants. Pour qui connaît le pays, cela semble une hérésie. Décider à Chambéry de changer une vanne dans un hameau de montagne situé à plus d’une heure de route, ce n’est pas à franchement parler une simplification administrative.

D’après le recensement de 2012, nous sommes 4 892 habitants. Un nouveau recensement permettrait sans doute de dépasser la barre des 5 000, mais je veux situer mon raisonnement sur un autre plan.

Au moment de votre visite, en Août dernier, malgré le tumulte que votre présence entraîne, vous avez dit avoir perçu le charme et la tranquillité des lieux. Je n’ai pas besoin de convoquer le pittoresque, la qualité de l’air, la présence d’une faune et d’une flore exceptionnelle, l’accueil chaleureux, l’équilibre devenu si rare entre nature et culture.

Des milliers de personnes nous visitent chaque jour. ils sont des dizaines de milliers les week-ends ou pendant les vacances. Quel point commun entre le randonneur, le cycliste, le pécheur, le chasseur, l’amateur de vieilles voitures, le motard, le ramasseur de champignons, le skieur, le 1er ministre ou le Président de la République ?

Leur passage ici a contribué à les rendre HEUREUX.

Et nous sommes très heureux de rendre heureux. Sincèrement. Mais comprenons-nous que ce bonheur ne tombe pas du ciel ? Qu’il a été patiemment conquis sur la nature par les habitants au fil des siècles. Les baujus ne sont pas propriétaires du soleil et de l’eau qui dévale des alpages, mais sans le travail de nos ancêtres pour leur survie tout d’abord, et pour améliorer progressivement leur vie, il faudrait un goyard bien affuté pour franchir le défilé de Banges ou l’un des cols si prisés de nos visiteurs.

IMG_2552

L’organisation de l’agriculture, de la filière bois, puis de l’offre touristique témoignent de la valorisation de nos atouts naturels par combinaison et ajout des savoir-faire locaux.

C’est notre développement économique qui nous a permis de devenir des producteurs de spectacle naturel. Ce sont les habitants d’ici, par leur bonnes décisions et par leurs actes mesurés et déterminés qui produisent en association avec la nature, un spectacle dont la fréquentation hebdomadaire varie entre le Phare de Chambéry et le stade des Lumières à Lyon.

Ce spectacle naturel est gratuit, sans cesse renouvelé, et on peut le consommer sans modération.

Le plaisir éprouvé aujourd’hui par le visiteur est le fruit des actions menées avec le soutien de toutes les institutions, mais sur les bases de décisions prises ici. Malgré les difficultés inhérentes au terrain et aux conjonctures parfois défavorables, les baujus ont appris à répondre aux défis posés par la nature, ce qui fait d’eux, si l’on se base sur la définition d’Arnold Toynbee, des acteurs de la civilisation montagnarde.

Si le visiteur veut éprouver encore ce plaisir demain, si d’autres de plus en plus nombreux veulent venir se ressourcer ici, le pari de faire confiance aux producteurs actuels de ce spectacle n’est pas mauvais. Pourquoi ne serions-nous pas les mieux placés pour poursuivre le développement de ce pays, en prenant les décisions ici, avec l’appui et le conseil de tous, ailleurs.

Nous avons comme partout commis ici des erreurs, mais ce qui ressort au final de l’action des baujus tient en 4 mots que je voudrais plus chuchoter que claironner : modestie, détermination, clairvoyance et justesse.

Je ne vous écris pas au passé. Je ne vous écris pas d’un massif qui a vécu. Je vous écris d’un massif vivant, qui peut apporter beaucoup à notre nation : oxygène, eau pure, fromages inégalables, exemple de courage et d’initiatives, valeurs humaines et collectives.

Pour votre plaisir et celui de centaines de milliers de personnes qui ont besoin de respirer, de redonner du sens à leur vie, de se recréer au contact de nos montagnes et de notre culture, laissez-nous gérer et inventer notre territoire, ici, en Bauges.

L’enjeu n’est pas aujourd’hui de se faire administrer depuis Chambéry, mais de savoir comment faire en sorte que nos très nombreux visiteurs ou les collectivités auxquelles ils appartiennent, bien au delà de Chambéry, apportent plus et mieux à notre développement, donc à leur bonheur futur.

Chaque bauju saurait vous raconter son pays aussi bien que moi . J’ai décidé de fixer dans le temps quelques récits, dont une petite dizaine sous forme filmique. Je me permets de vous offrir le fruit d’un travail de médiation de 10 ans, accompli par les collégiens que nous avons encadrés. Par écrit ou au fil des 4 heures de film, les témoins directs racontent aux jeunes comment les Bauges ont traversé la seconde guerre mondiale. Oserais-je chuchoter encore : avec modestie, détermination, clairvoyance et justesse.

Avec mes salutations les plus respectueuses.

 

Pierre Beccu

 

recto couv livre B3945

IMG_2591